à propos du livre



Ce livre a été écrit pour qu'on en ait du plaisir.
Ne vous préoccupez pas des virgules qui ne sont pas là lisez les mots. Ne vous inquiétez pas du sens qui est là, lisez les mots plus vite. Si vous avez quelques difficultés, lisez de plus en plus vite jusqu'à ce que vous n'en ayez plus. (…) Ce livre a été écrit pour qu'on en ait du plaisir. | G. Stein

Par une écriture musicale dont le projet majeur est de commencer encore et encore et dont le mouvement a souvent été qualifié de cubisme littéraire, Stein crée une langue lumineuse aux mots simples et à l'architecture complexe, qui semble s'inventer à la source même des mouvements de la conscience.
Cela parle sans nostalgie ni manières de ce qui revient de l'enfance, de ce qui fait peur, de ce qui fait pleurer – émotion plus que tristesse – et joue avec la grande question des rapports entre le langage et l'être.





Gertrude Stein

Américaine, née en 1874, elle a vécu la plus grande partie de sa vie en France.

Elle a fait des études de médecine, durant lesquelles elle s'est intéressée à l'hystérie et aux cas d'écriture pathologique.
Écrivain, poète, dramaturge, collectionneuse d'art, elle est connue pour le rôle essentiel qu'elle a joué dans le développement de la littérature et de l'art moderne, particulièrement du cubisme. Elle a reçu l'avant garde du monde entier (Picasso, Hemingway, Matisse...) dans son salon, au 27 rue de Fleurus à Paris. Aujourd'hui encore, elle est considérée comme une voix littéraire majeure.

Elle était juive et lesbienne.
Elle a rencontré Alice B. Toklas alors qu'elle avait 33 ans et a partagé sa vie avec elle jusqu'à sa mort. Dans des images d'archives on peut les voir jouer avec leurs chiens ou faire du jardinage.
Pendant la 2e guerre mondiale, installée dans l'Ain pour échapper aux persécutions, elle a écrit Le monde est rond pour sa voisine Rose d'Aiguy, alors âgée de 9 ans. Gertrude aimait beaucoup Rose car elle lui rappellait toutes les choses qui avait troublé [sa] propre enfance.

Parlant de son chien, Stein pouvait dire ce genre de chose : … en écoutant le rythme de ses gorgées dans sa gorge quand il boit, j'ai perçu la différence entre les phrases et les paragraphes, les paragraphes ont un rythme émotif, les phrases pas. N'importe qui écoutant n'importe quel chien boire verra ce que je veux dire.

Elle est morte à Neuilly-sur-Seine en 1946.







 
L'histoire

Le monde est rond, en ce temps-là.
Rose est une petite fille.
Rose est son nom, mais aurait-elle été Rose si son nom n'avait pas été Rose ?

Rose pense, chante et pleure.
Elle a deux chiens, dont l'un n'est pas à elle.
Elle a aussi un cousin. Son nom est Willie.

Rose décide d'escalader la montagne. Quand elle sera tout en haut elle posera une chaise et elle s'assiéra là.
Alors elle le fait.
Essaye donc d'escalader une montagne toute seule avec simplement une chaise bleue de jardin à tenir.

Il y a la nuit. Les souvenirs de ce qu'on dit. Ce qu'on voit tout près. L'eau qui tombe.
Il y a le matin. Les arbres qui sont tous là.
Une cloche sonne, mais peut-on dire si une cloche est une cloche ?
Elle grimpe et grimpe, elle traverse l'arc-en-ciel et elle y est, juste au sommet, et elle s'assoit sur la chaise.
Elle chante et il fait de plus en plus sombre. Et juste à ce moment là elle est trouvée.

Bon, elle se marie avec Willie qui finalement n'était pas son cousin.


La langue

« Commencer encore et encore... », tel est le projet d'écriture de Gertrude Stein : projet voué à la répétition et à la jouissance. Répéter, c'est vouloir prolonger à l'infini le moment présent, c'est produire une temporalité qui serait celle de l'écriture en train de s'écrire, un « lourder beating » comme elle le dit elle-même, qui serait cette marque du pulsionnel dans le corps de la langue : écriture entièrement dirigée par la perception dans son immédiateté, (…) se concentrant sur la chose elle-même ; car pour elle tout le savoir est contenu dans l'expérience du présent » et « le savoir n'est pas la succession mais l'existence immédiate ».
(Martine Bourdeau, revue TXT)

Chez Stein les mots ne cachent rien. La parole est mise à plat, relative, point de vue parmi les points de vue. Un équivalent littéraire de la peinture cubiste qui, ramenant le réel à une surface avec un traitement égal de tous les points, créée un espace non hiérarchisé.
Tout narcissisme, toute affectation sont ici balayés. S'invente une langue lumineuse, aux mots simples et à l'architecture infiniment complexe, qui semble se créer à la source même des mouvements de la conscience. Et l'on dirait que Stein a trouvé le secret et la grâce de certaines paroles enfantines.

Une des choses qui est très intéressante à savoir c'est de quelle façon vous éprouvez en votre for intérieur les mots qui sortent pour passer à l'intérieur de vous. (Gertrude Stein, conférences, 1934)
J'imagine que l'acte de dire se compose de paroles pensées, proférées, potentielles, écrites... et qu'entre toutes ces paroles il y a des grincements, ça frotte, glisse, passe, choque... ça joue.

Ça joue, ici, avec une précision quasi mathématique qui exclue morale ou pathos.
Ça parle de ce qui fait peur, de ce qui fait pleurer - d'émotion plus que de tristesse.
Ça dit sans nostalgie ni manières ce qui revient de l'enfance - la joie et le vertige d'être au monde. Ça parle de grandir, d'aimer et d'agir. Un tour de force, l'air de rien.


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